Pacte Dutreil et activité mixte : le critère de l’activité prépondérante remis en cause

Le Conseil d’État rejette les critères retenus par l’administration fiscale pour apprécier le caractère prépondérant de l’activité opérationnelle de la société transmise dans le cadre d’un pacte Dutreil.

Le Pacte Dutreil est un dispositif qui permet de faire bénéficier la transmission d’une société ou d’une entreprise familiale d’une exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit. Un dispositif qui suppose le respect de nombreuses conditions, dont certaines ont trait au « caractère opérationnel » de la société dont les titres sont transmis. Une occasion de faire le point sur toutes les conditions requises pour constituer un pacte Dutreil.

 

Comment apprécier la prépondérance de l’activité ?

Entre autres conditions à respecter pour bénéficier de ce dispositif, la société (ou l’entreprise), dont les titres sont transmis, doit principalement exercer une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale : on parle alors de « société opérationnelle ». Il n’est donc pas exigé que la société exerce exclusivement une activité dite « opérationnelle » : il suffit que l’activité industrielle, commerciale, etc. soit prépondérante.

  

Il peut donc s’agir de sociétés ayant une activité mixte, qui exercent :

- principalement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale ;

- et accessoirement une activité civile.

  

Pour apprécier le caractère opérationnel de l’activité, l’administration se fonde actuellement sur deux critères cumulatifs :

- le chiffre d’affaires procuré par cette activité (au moins 50 % du montant du chiffre d’affaires total) ;

- et le montant de l’actif brut immobilisé (au moins 50 % du montant total de l’actif brut).

  

Saisi d’un recours pour excès de pouvoir, le Conseil d’État annule la doctrine fixant ces deux critères d’appréciation et précise que la prépondérance de l’activité opérationnelle s’apprécie en considération d’un faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité et les conditions de son exercice. En effet, selon les juges, la faiblesse du taux d’immobilisation de l’actif brut ne constitue pas l’indice d’une activité civile. De même, l’importance de ce taux ne signifie pas que l’activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale soit prépondérante.

  

Le dispositif fiscal ne peut donc être refusé aux sociétés ayant également une activité civile (autre qu’agricole ou libérale), dès lors qu’elles exercent principalement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale.

L’enjeu : une exonération partielle de droits de succession ou de donation

Le Pacte Dutreil est un dispositif permettant de faciliter la transmission d’entreprise en allégeant la fiscalité. L’avantage fiscal consiste en une exonération des droits de succession ou de donation à hauteur de 75 % de la valeur des titres ou de la valeur de l’entreprise.

  

L’abattement de 75 % sur la valeur des titres ou de la valeur de l’entreprise individuelle applicable lors du calcul des droits de mutation à titre gratuit vient en complément le cas échéant de l’abattement en ligne directe de 100 000 €. Dans le cadre d’une donation, cet abattement est cumulable avec la réduction de 50 % des droits de donation si le donateur est âgé de moins de 70 ans et si la donation est réalisée en pleine propriété.

Lorsqu’elle porte sur une entreprise individuelle, la donation doit porter sur la totalité ou sur une quote-part indivise de l’ensemble des biens meubles et immeubles, corporels ou incorporels, affectés à l’exploitation.

  

Conditions de la constitution du pacte Dutreil

Transmission d’une entreprise individuelle

L’entreprise :

- doit exercer une activité opérationnelle éligible (commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole) de façon prépondérante,

- doit avoir été détenue par le défunt ou le donateur depuis au moins 2 ans lorsqu’elle a été acquise à titre onéreux. Cependant, si l’entreprise a été créée ou acquise à titre gratuit, aucune condition de durée de détention n’est exigée.

  

Engagement de conservation au moment de la transmission : chacun des héritiers, légataires ou donataires doit à son tour prendre l’engagement individuel dans la déclaration de succession ou l’acte de donation de conserver les biens affectés à l’exploitation de l’entreprise pendant une durée de 4 ans minimum .

Enfin, l’un des bénéficiaires ayant pris l’engagement individuel de conservation devra poursuivre l’exploitation de l’entreprise pendant 3 ans à compter de la transmission.

 

Passage en société après la transmission

Les bénéficiaires ne doivent pas obligatoirement poursuivre l’exploitation de l’entreprise sous sa forme juridique initiale (entreprise individuelle), ils ont la possibilité de la transformer sans remettre en cause l’exonération. Pour cela, il faut que toutes les conditions suivantes soient respectées :

- les biens transmis doivent être apportés à une société créée à cette occasion et détenue en totalité par les bénéficiaires ;

- les titres reçus en contrepartie de l’apport doivent être conservés par les bénéficiaires jusqu’au terme de la période de 4 ans initialement prévue pour la conservation des biens ;

- les biens objets de l’apport doivent être conservés par la société (un remplacement ou une cession isolée d’un élément d’actif est tolérée) ;

- et l’un des bénéficiaires doit poursuivre l’exploitation de la nouvelle société.

Transmission d’une société

La société doit exercer une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de façon prépondérante ou de holding animatrice.

Les titres doivent faire l’objet d’un engagement collectif de conservation d’au moins 2 ans à compter de la date d’enregistrement de l’acte et être en cours au jour de la transmission. Cet engagement collectif doit être pris par le défunt ou le donateur pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, avec d’autres associés ou par une personne seule (depuis le 1er janvier 2019), pour elle et ses ayants cause à titre gratuit. Cet engagement doit porter sur au moins 17 % des droits financiers (34 % pour les pactes souscrits avant 2019) et 34 % des droits de vote lorsqu’il s’agit de titres de sociétés cotées (seuils réduits respectivement à 10 % et 20 % pour les sociétés cotées).

Lors de la transmission des titres, chaque héritier, donataire ou légataire devra prendre l’engagement individuel de conserver les titres transmis pendant une durée de 4 ans minimum à compter de la fin l’engagement collectif.

L’un des associés signataires de l’engagement collectif de conservation ou l’un des donataires, héritiers ou légataires devra exercer dans la société , pendant la durée de l’engagement collectif et pendant les 3 années qui suivent la date de la transmission, une fonction de direction .

  

EXEMPLE : Soit trois associés d’une société qui, par acte enregistré le 12 janvier 2020 ont pris l’engagement de conserver pendant 2 ans (soit jusqu’au 12 janvier 2022) 35 % du capital de cette société.

 

En cas de décès de l’un des associés le 15 février 2021, ses héritiers peuvent bénéficier de l’exonération partielle sous réserve :

qu’ils poursuivent l’engagement pris par le défunt jusqu’au 12 janvier 2022

et prennent l’engagement de conserver les titres qui leur sont transmis jusqu’au 12 janvier 2026.

  

À noter

L’engagement collectif est réputé acquis lorsque le donateur ou le (futur) défunt détient depuis 2 ans au moins le quota de titres requis et exerce (ou son conjoint ou partenaire) depuis plus de 2 ans dans la société son activité principale ou l’une des fonctions de direction.

Si un nouvel associé adhère à un engagement collectif en cours, celui-ci doit être reconduit pour une nouvelle durée minimale de 2 ans.

Engagement collectif « post mortem » : lorsqu’un engagement collectif de conservation n’a pas été conclu, il est possible d’en conclure un dans les 6 mois du décès entre l’héritier ou légataire ou avec d’autres associés.

 

Exceptions

Ceux-ci peuvent cependant donner ou céder les titres , objets de l’engagement individuel à leurs descendants , à condition que ces derniers poursuivent l’engagement jusqu’à son terme.

Ils peuvent également apporter leurs titres de la société d’exploitation à une société holding à condition que les titres apportés soient détenus directement par le donataire ou léga-taire et que la holding bénéficiaire de l’apport ait pour objet exclusif la détention de titres de la société exploitante.

 

La remise en cause de l’exonération

L’exonération est remise en cause en cas de :

- cession à titre onéreux après mutation à titre gratuit pendant l’engagement collectif de conservation,

- non-respect par un héritier, légataire ou donataire de l’engagement individuel de conservation,

- non-respect des obligations relatives à la fonction de direction pour les sociétés soumises à l’IS ou à l’activité principale pour les sociétés - -- non soumises à l’IS ou à la poursuite de l’exploitation de l’entreprise,

- non-respect des conditions de seuils de détention pendant l’engagement collectif.

  

En cas de non-respect de l’engagement de conser-vation des biens par un héritier, un légataire ou un donataire, celui-ci est tenu d’acquitter le complément de droits de mutation à titre gratuit majoré de l’intérêt de retard.

Si la condition relative à la poursuite de l’exploitation n’est pas respectée, ou la condition relative à l’exercice d’une activité principale (société à l’IR) ou à la fonction de direction (société à l’IS) n’est pas respectée, tous les bénéficiaires sont tenus d’acquitter le complément de droits de mutation à titre gratuit majoré de l’intérêt de retard.

  

Exception

Le régime de faveur n’est pas remis en cause lorsque l’engagement de conservation des biens n’est pas respecté par suite d’une donation à condition que le ou les donataires soient le ou les descendants du donateur et qu’il(s) poursuive(nt) l’engagement de conservation jusqu’à son terme.

En résumé

Pour constituer un Pacte Dutreil relatif à la trans-mission d’entreprise individuelle, certaines conditions doivent être respectées :

– l’entreprise doit être détenue depuis plus de 2 ans, sauf en cas de création,

– un engagement collectif doit être pris pendant 4 ans sur la conservation des biens transmis,

– l’un des héritiers, donataire, doit poursuivre l’exploitation de l’entreprise pendant 3 ans.

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